Présentation de La Dispute par Patrice Chéreau - INA

En son temps, La Dispute n'a été représentée qu'une fois, en 1744, avant de tomber dans l'oubli. Il était souvent d'usage, au XVIIIe siècle, de faire précéder ou suivre la représentation de textes en cinq actes d'un texte court, qui faisait spectacle à lui seul et n'avait aucun lien nécessaire avec la pièce principale. La pièce en un acte n'est pas une ébauche mais plutôt un succédané formel où Marivaux, qui n'emploiera plus que ce format à la fin de sa vie, condense tous les principes de son écriture sans rien sacrifier à la facilité de la simplification. Les pièces courtes gagnent au contraire en densité et en efficacité et sont comme des champs d'expérimentation où Marivaux peut tout s'autoriser : mise en abyme du schéma dramatique, renversement des regards, jeux entre maîtres et valets, allégories.

La pièce peut se résumer rapidement ainsi : Les seigneurs de la Cour débattent sur les concepts de l'inné et de l'acquis, sur l'expérience et la naissance des perceptions et des sentiments, sur l'influence de l'éducation, et veulent décider de qui, de l'homme ou de la femme, vient l'inconstance amoureuse. Pour résoudre cette dispute, la Cour fait rejouer les commencements du monde en libérant quatre enfants séquestrés depuis leur naissance. La Cour observe leur rencontre, la façon dont ils se découvrent en prenant conscience d'autrui, mais aussi la façon dont ces enfants, violemment confrontés à une réalité qu'ils ignoraient auparavant, grandissent et vieillissent trop vite.

Il y a de nombreuses mises en scène de Marivaux et il y a La Dispute, par Chéreau en 1973, un spectacle du Théâtre National Populaire, créé au Théâtre de la Musique à Paris, pendant le Festival d'automne. Ce spectacle a marqué sa génération, choquant les uns, provoquant l'admiration des autres. Dans ce spectacle, le texte de Marivaux est précédé d'un prologue écrit par François Regnault, qu'on publie souvent maintenant à côté de la pièce. Ce prologue, qui donne de l'épaisseur à cette pièce en un acte relativement elliptique, était joué depuis un praticable, installé dans l'orchestre. L'idée du spectacle était de mettre en vis-à-vis un portrait de Marivaux à travers un montage de ses œuvres en prose, côté salle et, côté plateau, le conte noir de La Dispute, teinté de fantastique et de philosophie, pour donner à entendre à la fois la légèreté et la gravité de Marivaux. Chéreau apporte une lecture critique de Marivaux, le réinterprète en proposant une construction duale et presque anthropologique dans l'opposition entre nature et culture - en montrant l'animalité du corps des enfants - mais ce spectacle, selon Bernard Dort, laisse de côté le « constat social marivaudien » [1] qui faisait originellement le propos de la pièce.

[1] Bernard Dort, « Marivaux sauvage » (à propos de La Dispute mise en scène par Chéreau), Travail théâtral, n° hiver 1974, p. 68.

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